Avis de Bourses de recherche en Eco-anxiété de la Fondation Croix-Rouge Française, France

 

 

Thématique de recherche

Contexte

L’environnement et le changement climatique semblent occuper, depuis 2010, une place de plus en plus importante dans les préoccupations de la population française (ADEME, 2021 ; 2022). En 2022, ils étaient 72 % à estimer que « les conditions de vie deviendront bientôt extrêmement pénibles à cause des dérèglements climatiques » (ADEME, 2022 : 12). Ces ressentis sont alignés sur des tendances globales – le changement climatique ayant été reconnu au niveau international comme une des principales menaces du 21ème siècle pour la santé publique, y compris pour la santé mentale des populations (Clayton et al., 2017 ; Usher et al., 2019).

Un nombre croissant de personnes à travers le monde déclarent en effet ressentir un mal-être, des craintes, du désespoir et/ou de la colère face aux effets du changement climatique et de la crise environnementale (voir Gustafon et al., 2019 ; Coffey et al., 2021). Aux Etats-Unis, une étude conduite en 2018 par le Yale Program on Climate Change Communication et le Center for Climate Change Communication de l’Université George Mason trouvait que 69 % des Américains s’inquiétaient du changement climatique et que 49 % pensaient qu’il leur nuirait personnellement (voir Gustafon et al., 2019).

En Europe, une étude portant sur des données collectées dans 25 pays montre que les éco-anxieux pourraient représenter entre 22 % et 55 % de la population (Niedzwiedz, & Katikireddi, 2023). Les jeunes semblent être particulièrement touchés par ce phénomène – en 2021, une recherche publiée dans le journal The Lancet révélait que sur 10 000 jeunes de 16 à 25 ans interrogés dans dix pays, plus de la moitié déclaraient que le changement climatique les rendait tristes, anxieux, en colère, impuissants et coupables et plus de 45 % que leurs sentiments liés au changement climatique affectaient négativement leur vie quotidienne et leur fonctionnement (Hickman et al., 2021).

Bien que le concept d’éco-anxiété soit de plus en plus utilisé par les médias et les chercheurs, il n’y a pas de consensus dans la littérature sur sa définition. Le terme – néologisme issu de la contraction d’« écologie » et d’« anxiété » – est utilisé tour à tour pour désigner une anxiété associée à la détérioration des conditions environnementales globales, une peur chronique d’expérimenter une catastrophe dite « naturelle » au cours de sa vie, ou une détresse mentale ressentie suite à l’exposition ou l’expérience d’un aléa majeur (voir Desmarais et al., 2022 ; Dévès, 2023 ; Weiss & Canali, 2023).

Tentant de proposer une définition pouvant faire consensus, Brophy et al. (2023) définissent l’éco-anxiété comme « une expérience d’inquiétude ou d’inquiétudes de différents niveaux et principalement des émotions négatives concernant le monde naturel, la vie humaine et l’incertitude ou la peur de l’avenir qui peuvent ou non être vécues comme de la détresse ». Le dictionnaire français du Larousse définit quant à lui le terme depuis 2023 comme une « forme d’anxiété liée à un sentiment d’impuissance face aux problématiques environnementales contemporaines » (Larousse, 2025).

L’éco-anxiété et la Croix-Rouge française 

Avec ses plus de 75 000 bénévoles, dont 19 000 de moins de 30 ans, la CRf représente une des plus grandes associations bénévoles en France. Engagé dans de nombreuses missions dans les domaines de l’action sociale, de l’urgence et du secourisme, mais aussi de la vie associative et de la jeunesse, ce vivier bénévole constitue la force principale et le cœur battant de l’association.

En 2023, l’environnement était cité comme une des principales préoccupations des jeunes volontaires et personnes accompagnées de la CRf lors d’une grande consultation réalisée par la CRf (Croix-Rouge française, 2023). Ces derniers attendent de l’association qu’elle devienne plus verte et offre de nouvelles voies de prise en compte des questions environnementales dans ses activités. La promotion 2023-2024 de la MaGE (Masterclass Gouvernance et Engagement), un groupe de jeunes issus de la CRf, de Familles rurales, de la Ligue de l’enseignement et d’APF France Handicap, a choisi de mener ses travaux sur l’éco-anxiété :

« Aujourd’hui, nous constatons que dans nos quatre associations, les thématiques liées à l’environnement, la santé mentale et l’engagement des jeunes sont traitées séparément. L’éco-anxiété n’est pas traitée comme un sujet en tant que tel. Pourtant, il existe un intérêt tangible à s’engager et à s’investir dans cette problématique. C’est une opportunité de se saisir des préoccupations des individus et en particulier des jeunes. C’est un sujet transversal à toutes les thématiques des associations et qui touche tous les territoires. C’est donc tout naturellement l’occasion de favoriser la collaboration entre nos 4 réseaux. » (MaGE, 2024: 4)

Pour répondre à ces attentes et s’emparer de ce sujet, la CRf souhaite mettre en place un dispositif relatif à l’éco-anxiété répondant à 3 objectifs : 1) apporter du savoir ; 2) sensibiliser et accompagner le public ; et 3) favoriser le passage à l’action et rétablir de l’optimisme. Les équipes du pôle « Jeunesse et Initiatives » (Direction de l’éducation, de la prévention et des liens familiaux) et du programme « Santé mentale et soutien psychosocial » de la CRf souhaiteraient ainsi mieux comprendre les ressorts de l’éco-anxiété à l’œuvre et identifier des leviers de prise en charge et d’accompagnement afin de mieux répondre aux attentes du réseau en la matière, en particulier des jeunes.

Etat des connaissances relatives à l’éco-anxiété

Plusieurs revues de la littérature sur l’état actuel des connaissances à propos de l’éco-anxiété ont déjà été conduites et publiées, notamment en santé publique et en psychologie (Coffey et al., 2021 ; Baudon, 2021 ; Boluda-Verdu, 2022). Il existe également plusieurs revues sur le vécu et l’expérience spécifique des jeunes (Léger-Goodes et al., 2022 ; Brophy et al., 2023 ; Kankawale & Niedzwiedz, 2023). Ces revues ont permis de mettre en lumière un certain nombre de tendances émergentes, notamment le fait que l’éco-anxiété serait associée à d’autres problématiques de santé mentale comme la dépression, l’anxiété, le stress ou l’insomnie ; qu’elle contribuerait à accroître la réticence à avoir des enfants ; mais aussi qu’elle serait, réciproquement, associée à un comportement pro-environnemental, pouvant ainsi se révéler catalyseur d’action (voir Caillaud et al., 2022 ; Hiridjee, 2022 ; Gloor & Villeunier, 2024).

Les recherches existantes suggèrent par ailleurs qu’il puisse y avoir un lien de corrélation entre un niveau plus élevé d’éco-anxiété et certains facteurs socio-démographiques comme l’âge, le genre et la zone géographique (Closson et al., 2022 ; Boluda-Verdu et al., 2022). Les plus jeunes et les femmes seraient en effet plus exposés à l’éco-anxiété, tout comme les personnes résidant dans des zones plus défavorisées et/ou directement affectées par le changement climatique (Boluda-Verdu et al., 2022).

A propos de l’accompagnement, de la prise en charge et des méthodes thérapeutiques d’intervention, la recherche semble pour l’instant converger sur trois grands axes : 1) l’encouragement de la pratique d’activités de reconnexion à la nature ; 2) la mise à disposition d’espaces sûrs et sécurisants aussi bien individuels que collectifs pour exprimer les émotions liées à l’éco-anxiété et 3) l’encouragement et l’accompagnement au passage à l’action (voir Baudon et Jachens, 2021 ; Brophy et al., 2023 ; Gloor & Villeymier, 2024).

Bien que de plus en plus de recherches aient été publiées sur le sujet ces dernières années, les chercheurs identifient plusieurs limites à la littérature existante. Tout d’abord, le fait que la majorité de ces recherches aient moins de 10 ans (Boluda-Verdu et al., 2022). Le secteur académique semble ainsi manquer encore de recul pour pouvoir tirer des conclusions définitives relatives aux rouages et approches interventionnelles en matière d’éco-anxiété. Les revues actuelles considèrent par ailleurs que la qualité des études existantes reste limitée (voir Boluda-Verdu et al., 2022 ; Brophy et al., 2023). L’absence de définition et de méthodologie normalisée pour mesurer l’éco-anxiété tend à remettre en cause la fiabilité des données et évaluations existantes. A propos des stratégies interventionnelles, bien que certaines puissent être tirées de la littérature, d’autres ne sont pas largement validées et doivent encore être testées de façon plus systématique (Baudon & Jachens, 2021). Les chercheurs soulignent enfin la nécessité de concilier l’approche individualiste de l’éco-anxiété avec la réalité systémique du changement climatique. Ils invitent leurs collègues à étudier comment la pression à agir, individuellement ou collectivement, pourrait avoir un effet néfaste sur la santé mentale, en particulier chez les jeunes, en exacerbant une détresse psychologique si déjà présente (Brophy et al., 2023).

Objectifs de l’appel 

L’objectif de cet appel est de permettre une meilleure compréhension des ressorts de l’éco-anxiété à l’œuvre auprès des volontaires de la CRf et d’identifier des leviers de prise en charge de cette éco-anxiété, notamment vis-à-vis des plus jeunes. Comment les jeunes volontaires (bénévoles et salariés) ressentent-ils et s’approprient-ils la question de l’éco-anxiété ? Quelles stratégies les jeunes adoptent-ils pour faire face au changement climatique et à l’éco-anxiété ? Quelles sont les particularités ou les approches spécifiques à prendre en compte dans le soutien psychologique lié à l’éco-anxiété ? Dans quelle mesure le passage à l’action peut-il être générateur d’optimisme pour les jeunes volontaires éco-anxieux et quelles sont au contraire les limites du passage à l’action en termes d’atténuation de l’éco-anxiété ? Existe-t-il des modèles inspirants d’accompagnement des volontaires et du grand public face à l’éco-anxiété ?

La recherche devra permettre de répondre à ces questions afin notamment de contribuer aux actions des programmes « Croix-Rouge Jeunesse » et « Croix-Rouge Initiatives ». « Croix-Rouge Jeunesse » assure l’animation du réseau jeunesse de l’association ainsi que le pilotage de la MaGE et le suivi des travaux de la promotion 2023-2024 sur l’éco-anxiété. « Croix-Rouge Initiatives » accompagne chaque année la réalisation de projets solidaires de proximité portés par le réseau de la Croix-Rouge française, dont certains sur le thème de l’environnement. Les résultats de l’étude viendront directement alimenter les travaux de ces deux programmes, enrichir leur connaissance du sujet pour accompagner la sensibilisation du réseau, proposer de nouvelles façons d’aborder le sujet, et impulser une dynamique de passage à l’action adaptée. Il s’agira notamment, à terme, de co-construire avec les jeunes et le chercheur une boîte à outils opérationnelle de sensibilisation et de formation sur l’éco-anxiété et le passage à l’action.

En termes méthodologiques, la recherche devra porter prioritairement sur les jeunes volontaires (bénévoles et salariés) de la CRf. Dans une approche comparative, elle pourra éventuellement également porter sur la population générale, ciblant en priorité les jeunes. Les projets de recherche proposant d’adopter des méthodes de recherche participatives incluant les jeunes seront privilégiés ainsi que les projets proposant d’adopter des cadres analytiques multidisciplinaires et une approche méthodologique mixte. Les cas d’études permettant une comparaison des résultats entre des milieux urbains et ruraux et/ou des territoires métropolitains et ultramarins seront enfin appréciés.

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